Droit à la déconnexion et astreintes dissimulées : que risquez-vous ?
Le déploiement des nouvelles technologies et la généralisation du télétravail ont mené les entreprises à revoir leur organisation. Pour éviter que l'accès illimité aux outils numériques n'en vienne à estomper, à l'excès, la distinction entre les
sphères professionnelle et privée, le législateur a instauré des règles - concernant certaines entreprises - permettant de garantir l'effectivité du droit à la déconnexion en leur sein. Quelles sont les entreprises concernées ? Un salarié hyper-connecté et joignable peut-il revendiquer une contrepartie pour avoir effectué une période d'astreinte dissimulée ?
Rappel : quelle loi parle pour la 1ère fois du droit à la déconnexion ?
Sans en donner de définition précise, c'est la loi El Khomri, dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2017 (Article 55 de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ), qui insère pour la 1ère fois, la notion de droit à la déconnexion dans le Code du travail.
Code du travail : que prévoit la loi et comment faire respecter le droit à la déconnexion en entreprise ?
Pourquoi mettre en place le droit à la déconnexion ?
La mise en application du droit à la déconnexion concerne tout employeur, en ce qu'elle est liée à son obligation :
- de sécurité et de protection de la santé physique et mentale des salariés (prévention des risques psychosociaux tels que le burn-out) ;
- de respect du temps de travail habituel du salarié (et temps de repos et congé).
Négociation d'un accord
Dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d'organisations représentatives (généralement celles qui comptent au moins 50 salariés), la négociation sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et sur la qualité de vie au travail doit porter notamment, sur les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l'entreprise de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques.
L'objectif est d'assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale du salarié.
Élaboration d'une charte
Dans ces entreprises, à défaut d'accord (les négociations n'aboutissement pas ou l'entreprise est dépourvue de délégué syndical pour négocier), l'employeur doit élaborer une charte, après avis du comité social et économique (CSE) :
- qui définit les modalités de l'exercice du droit à la déconnexion ;
- et prévoit la mise en oeuvre, à destination des salariés et du personnel d'encadrement et de direction, d'actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques.
Les entreprises dans lesquelles l'employeur n'est pas tenu de négocier sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail, n'ont pas l'obligation d'élaborer une charte.
Obligation de rester joignable en permanence = astreinte !
Lorsque l'employeur impose à ses salariés de rester joignables en permanence, il ne respecte pas leur droit à la déconnexion. Dans quelles conditions l'hyper-connectivité du salarié peut-elle être requalifiée en période d'astreinte ?
Le droit du travail définit l'astreinte comme une période pendant laquelle le salarié, sans être ni sur son lieu de travail ni à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise.
Elle confère au salarié le bénéfice d'une compensation soit financière, soit en repos.
Salariés au forfait et télétravail : le cas des cadres
L'application du droit à la déconnexion suppose que les salariés (même cadres ou managers) ne soient pas en permanence disponibles pour répondre à des appels téléphoniques ou à des e-mails. Tous les salariés doivent bénéficier de temps de repos effectifs.
Le salarié au forfait jours n'est pas soumis aux durées quotidiennes et hebdomadaires maximales de travail, la loi prévoit que l'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours doive déterminer les modalités selon lesquelles le peut exercer son droit à la déconnexion (voir notre dossier complet).
L'accord peut fixer le nombre maximal de jours travaillés dans l'année lorsque le salarié renonce à une partie de ses jours de repos. Ce nombre de jours doit être compatible avec les dispositions relatives au repos quotidien, au repos hebdomadaire et aux jours fériés chômés dans l'entreprise et avec celles relatives aux congés payés.
Attention ! Dans les entreprises d'au moins 50 salariés, ces modalités doivent être conformes à la charte.
En dehors de l'astreinte, vous devez respecter le droit à la déconnexion de vos salariés, au risque d'être condamné au paiement d'un rappel d'indemnités pour non-paiement de périodes d'astreinte.
Exemple de jurisprudence
Depuis sa promotion en tant que directeur d'agence, un salarié d'une entreprise spécialisée dans les services d'hygiène, était obligé de se soumettre à un dispositif de gestion des appels d'urgence. Celui-ci lui imposait de devoir rester joignable à tout moment en dehors des horaires de travail et en cas d'appel il devait prendre les mesures adéquates.
L'employeur a été condamné à verser plus de 60.000 euros au titre de rappel d'indemnité d'astreinte à son salarié car la Cour de cassation a jugé que ces périodes d'"obligation de tenir une permanence téléphonique à son domicile ou à proximité" constituaient des astreintes déguisées pour lesquelles le salarié n'avait pas été justement rémunéré (Cass. Soc, 12 juillet 2018, n°17-13029).
Si la nature de l'activité nécessite que les salariés restent joignables en permanence et soient en mesure d'intervenir au besoin, l'employeur peut avoir recours aux astreintes.
Sanctions en cas de non-respect du droit à la déconnexion ou d'absence de négociation
Le législateur ne prévoit pas de sanction spécifique en cas de violation du droit à la déconnexion par un employeur. Pourtant, elles peuvent être multiples : dommages et intérêts pour non-respect de son obligation de prévention de la santé, sanctions pénales pour harcèlement, rappel de salaire pour requalification du temps de connexion du travailleur en astreinte ou encore dommages et intérêts pour violation pure et simple du droit à la déconnexion.
Les entreprises d'au moins 50 salariés sont soumises à une pénalité à la charge de l'employeur en l'absence d'accord relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes à l'issue de la négociation ou, à défaut d'accord, par un plan d'action.
En outre, dans les entreprises concernées, le fait pour un employeur de ne pas avoir engagé des négociations sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail, incluant le droit à la déconnexion, peut être constitutif d'un délit d'entrave, puni d'une peine d'emprisonnement d'un an et une amende de 3.750 euros.
Les solutions juridiques sur les bonnes pratiques à adopter (limitation des messages, mails...)
Pour respecter ses obligations, l'employeur peut mettre en place des bonnes pratiques, qui peuvent être recensées dans la charte.
Il appartient à l'employeur d'en définir les contours, en fonction de l'activité exercée.
Exemples :
- bloquer l'accès à la messagerie professionnelle après une heure donnée ou le week-end ;
- définir des plages horaires individuelles (pour les cadres) ou collectives, sur lesquelles les salariés peuvent être joints ;
- mettre en place un entretien annuel visant à faire le point sur la charge de travail du salarié et son ressenti quant à l'effectivité de ses possibilités de déconnexion ;
etc.